On pourra dire ce que l'on voudra, si Maïra paraitra de taille respectable de loin, de près c'est une toute autre histoire. Toisant le mètre soixante-cinq, son corps élancé et ses jambes plutôt longues pour sa taille la font paraitre plus grande. Malgré une apparence fine, elle est ce qu'on appelle une fausse maigre et la seule chose qui puisse le prouver c'est un décolleté mieux fourni que prévu quand on regarde les étages inférieurs de sa personne. Plutôt filliforme, donc, elle n'en conserve pas moins un air solide et assuré, loin de la demoiselle en détresse prête à s'évanouir au moindre courant d'air. La taille souple et le port altier, elle paraitra sans doute sportive, pourtant si elle ne rechigne pas à une petite course à pied il ne faut pas trop compter sur cet a priori.

Son visage quant à lui, n'a rien d'exceptionnel : plutôt fin et régulier, elle reste tout à fait commune parmi les brunes. Ses lèvres pulpeuses sont plutôt sombres de nature même si elle n'hésite pas à les souligner un peu et ses yeux noirs bordés de longs cils la trahissent presque trop facilement. Une très épaisse chevelure à peine ondulée et sombre retombe dans dons dos jusqu'à ses fesses quand elle ne les attache pas, ce qu'elle est tout de même obligée de faire la majeure partie du temps au vu de la masse conséquente qu'elle se traine depuis l'enfance. Si les frontières n'avaient pas été abolies par l'Eden, on pourrait dire sans hésiter qu'elle possède un type hispanique voire latino-américain, ce qui ne serait de toute façon pas très éloigné de la réalité puisque les racines de sa famille remontent jusqu'aux terres enfouies de l'Amazonie.

Ce qui la démarque donc, ce sont bien ses tatouages. Loin d'être la marque d'une crise ni d'adolescence ni d'identité juvénile, c'était avant tout une envie, qui a peu à peu pris une forme pleine de sens. Les fleurs représentent la féminité, la fragilité et la force en même temps. Si elle a choisi de représener le portrait de sa grand-mère sur son bras, c'est avant tout car elle est la personne avec laquelle elle a passé le plus de temps dans son enfance et qui la comprenait le plus. Elle a pendant longtemps été la personne qu'elle a le plus regretté de perdre. Et enfin, le papillon, seul élément coloré de sa fresque sur épiderme, qui pour beaucoup représenterait l'éphémère, n'est pas là par hasard. Ephémère, mort, et en même temps renouveau, il n'est pas non plus sans rappeler le mot magique, celui qui efface tous les soucis : mariposa.

En dehors de cela, elle reste une jeune femme commune, agréable et avenante car très souriante, qui peut plaire comme laisser parfaitement indifférent. Ses tenues sombres quoique toujours très féminines peuvent aussi être un marqueur particuliers, bien qu'elle reste d'une sobriété qui lui convient parfaitement. Aucun bijou, à peine de quoi souligner ses yeux, pas d'extravagence apparente. Si ce n'est un sourire radieux, vous pourriez ne pas la remarquer !

En globalité, on peut dire de Maïra que c'est une personne agréable, souriante et pleine d'entrain. Loin d'être du genre à se laisser abattre facilement, elle préfère adopter la technique dite de l'autruche, mais comme dirait l'autre à faire semblant d'être heureux on finirait par le devenir ! Ainsi, loin d'être bête elle a décidé d'avoir une vie simple et sans trop gros tracas, évitant ainsi le stress d'un asservissement moderne à une fonction que l'on choisit par pure raison et surtout pour l'argent. Se forçant malgré tout à être de bonne humeur et à sourire, elle n'en est pas moins quelqu'un qui rit facilement quand elle est en terrain inconnu, mais sa bonne humeur peut devenir communicative si ce trait de caractère ne vous dérange pas. Si par le passé il lui arrivait d'être taciturne ou de ne pas retenir un trop plein de ras le bol, aujourd'hui elle se garde bien d'en montrer quoi que ce soit car ni ses élèves ni ses collègues n'ont besoin de savoir sa vie privée. Elle estime être un devoir le fait d'être un repère stable et accueillant pour les enfants, car maintenant la majeure partie de ce qu'elle fait est tout de même pour eux.

De nature à s'impliquer énormément dans les projets auxquels on l'intègre, il lui arrive souvent d'être déçue du résultat, même si elle se garde bien d'en faire part aux autres participants pour ne pas les froisser ; car oui, elle met un point d'honneur à peser les conséquences de ses propos ainsi que de ses actions, et ce depuis suffisamment longtemps pour que la marée de questions qui l'envahit dans certaines situations devienne un poison pour ses capacités d'analyse. C'est en partie pour cette raison qu'elle préfère la compagnie des enfants : ils intériorisent moins certaines réactions qui sont déjà nettement plus faciles à gérer. Elle sait pour être elle-même parfois trop attentives à de futiles détails que passé un certain âge, on attache parfois trop d'importance à des valeurs qui nous emmènent bien loin d'une simplicité qui n'est pas loin d'être fichtrement agréable.

Si elle est ouverte aux autres et très sociable, il ne faut pas pour autant penser qu'elle se confierait à n'importe qui. Méfiante en premier lieu, elle analyse d'abord la personne qu'elle a en face d'elle avant de lui parler librement de ce qui la tracasse ou tout simplement d'elle-même. Il y a des sujets dont on ne discute pas avec tout le monde, et sa liste est longue comme le bras. Aussi, vous ne la trouverez pas bavarde, pour ne pas dire qu'elle se contente du strict minimum presque tout le temps. Et une fois qu'elle vous fait pleinement et entièrement confiance, il n'est pas dit qu'elle n'appelle sa soeur en premier lieu pour vider son sac par pure habitude. Ses craintes généralisées de petite fille se sont peu à peu transformées en une seule crainte : celle des autres. Est-ce que tout ce que l'on dit peut être retourné contre nous ? Y a-t-il vraiment des gens bienveillants par nature ou tout le monde cache en lui un serpent prêt à bondir ? Des questions auxquelles elle ne répondra sans doute pas avant encore de longues années, et peut-être qu'elle n'y répondra même jamais.

Le choix de son métier n'a pas complètement était fait au hasard, et si elle est capable de beaucoup de patience et de douceur -surtout envers les enfants-, une fois les limites dépassées, le mur de la rancoeur se dresse et bon courage pour passer par-dessus ! Sa famille étant originaire d'une longue tradition latino-américaine malgré un fort métissage entre temps, il n'est pas possible qu'une femme n'ait pas appris dans cette ambiance à se laisser marcher sur les pieds. Et si vous êtes pourvu d'attributs masculins, accrochez-vous d'autant mieux ! Malgré une humilité quant à son travail et un manque de confiance parfois trop évident, il existe en elle une part de fierté toute féminine qui se dresse prête à attaquer au moindre nouvel assaut. Elle n'est pas cependant aussi bornée que certaines de ses aïeules et tient de son père une faculté de pardon -limitée, tout de même- selon son ressenti préalable... et selon le type de relation que vous entreteniez avec elle.

Enfin, ce qui la sort d'une routine potentielle, son dada de toujours : sa créativité. Si les travaux manuels n'ont pas toujours été son fort -elle a dû tout de même s'y mettre en devenant institutrice- elle a d'abord commencé par la cuisine, domaine qui l'a toujours intéressée et dans lequel elle excelle. Elle aime bien faire ses petites expériences basées sur ses connaissances, et surtout les partager avec les autres. C'est sans doute d'ailleurs l'une des rares choses que vous saurez sur elle pendant un bon moment, car s'il y a bien quelque chose qu'elle adore, c'est cuisiner pour les autres. Depuis elle a dû cependant essayer d'adapter cette capacité plutôt prolifique en gastronomie à son activité principale : l'enseignement. Ayant gardé une petite part de son âme d'enfant, elle se complait aujourd'hui parfaitement dans la création de jeux ainsi que de moyens ludiques d'apprentissage pour râvir ses petits bouts de chou et à force elle finit par plutôt bien s'en tirer. Elle est d'ailleurs toujours partante pour découvrir de nouvelles choses dans le domaine de l'amusement bon enfant, et d'autant plus autour d'un bon verre et d'une bonne fournée d'une recette dont elle a le secret !

Vous savez combien il y a d'étoiles dans le ciel ?
J'aimerais le savoir, mais je crois que pour notre siècle issu d'un monde détruit et recouvert par l'immondice humain, d'un monde où nous avons tous tellement peur que nous ne savons pas passer une nuit sans éclairer même faiblement nos rues, un monde où vos animaux sont parfois traités avec plus d'égards que votre voisin de pallier ; oui, je crois que pour nous, il sera impossible de toutes les voir. C'est le prix à payer pour ce que nous avons fait à notre terre, celle qui nous a nourris, qui nous a protégés, et qui nous a punis.

Ma grand-mère me racontait souvent des histoires d'un ancien temps, d'un temps parfois encore plus reculé que le commencement même de toute cette histoire. Depuis des générations très lointaines, il reste dans ma famille une tradition orale, ainsi que celle du serrage de coudes et de la ficanasserie dans la vie des enfants. Pour la dernière, je ne vous cache pas que c'est une habitude dont nous nous passerions bien -peu de mères trouveraient comme par magie tous les renseignements sur la vie de votre petit-ami... la mienne, oui !- et que nous répercuterons pourtant sur nos propres enfants, parce que c'est ainsi que nous avons été élevés : une mère vit et meurt d'inquiétudes pour son enfant. Quelque part les histoires que me racontaient ma grand-mère font partie de cet héritage, elles m'ont forgées et fait rêver. Elles m'ont aussi empêchée de dormir de longues nuits à chercher si les craquements des chevilles de mon père dans le couloir quand il se levait pour aller aux toilettes étaient l'arrivée de Xolotl, le grand et terrible dieu du double et guide des morts vers une autre terre, ou si c'était bel et bien mon professeur de père qui partait assouvir une envie pressante.

Je ne sais pas exactement d'où viennent mes racines dans le vaste monde d'avant l'Eden. Je sais juste que nous venons d'Amérique Latine, et que mon prénom est originaire de l'Amazonie profonde. Le reste... Le reste est un mélange de tout ce que l'on pouvait trouver sur le continent de tous les possibles. A force de se mélanger les traditions n'ont dû devenir qu'une pour être celles que je connais aujourd'hui. Du moins c'est ce que j'imagine qu'il s'est passé. En vérité je n'en sais rien. Ce qu'il en résulte cependant est une famille soudée et une enfance heureuse gardée par une grand-mère aimante, avec un caractère en acier trempé, caractère dont j'ai peu hérité et je peux dire heureusement. Ma mère elle aussi a un fort ascendant, pour ne pas dire qu'elle est pis encore. Cependant ma soeur, mon frère et moi avons plus pris de notre père : plus modérés, plus enclin au pardon et aux retours en arrière. Même si avec l'âge je trouve qu'elle s'est drôlement améliorée.

J'ai toujours été très proche de ma grande-soeur, Maria-Pili -notez qu'entre Maria et Maïra, mes parents ne se sont pas trop foulés-, et à ce jour encore elle est mon plus grand soutien. Nous n'avons que quatre ans d'écart et l'éducation que nous avons reçue fait que nous avons toujours été comme les doigts de la main. Nos éclats de rire de petites filles reviennent encore souvent dans nos conversations, et je n'ai encore jamais trouvé quelqu'un qui me connaisse mieux. Du moins, qui soit encore en vie. Ma grand-mère était bien plus forte que ma soeur au jeu des devinettes, mais nous n'avions pas le même âge. Elle est morte quand nous avions respectivement douze et huit ans, mon petit-frère ne l'a presque pas connue et ne s'en souvient même pas. Nous avons longuement été inconsolables, toutes deux, à nous raconter des histoires sans même savoir si cela nous faisait du bien ou au contraire remuait le couteau dans la plaie. Si ma mère n'a pas été très présente jusqu'à cette période, c'est à partir de ce jour qu'elle est véritablement entrée dans ma vie. Nous avons toujours plus ou moins été comme chiens et chats. Elle ne me comprenait pas, et je n'ai jamais compris ce qu'elle attendait de moi. Aujourd'hui encore je vois dans son regard que quelque chose la dérange et c'est en voyant ma soeur que j'ai compris : je suis capable de vivre seule.

Il existe une règle à laquelle j'ai jusque là dérogé sans faille : les femmes sont faites pour se marier et devenir le pilier de leur famille. J'ai commencé à travailler sans avoir personne dans ma vie, et même si je ne suis pas ce que l'on peut appeler une vieille fille, je me moque éperdument d'être seule. J'attends, je ne veux pas me précipiter. Ma mère, aussi forte puisse-t-elle paraitre, sans s'être jetée dans les bras du premier venu, n'a quitté la maison de sa mère uniquement pour se marier. Une coutume que je trouve pour ma part archaïque, mais qui demeure dans notre chair et notre sang.

Ma vie telle qu'elle est me rend heureuse. Je passe des journées pleines de surprises auprès de petits yeux curieux qui s'écarquillent tout grand à la moindre découverte, comme si j'étais magicienne ; je les fais rire, danser, chanter, je leur apprends des bases qui je le sais leur serviront toutes leurs vies ; bref, je me sens utile. Car s'il y a bien quelque chose qui me fait peur, dans le fond, c'est la vacuité de l'existence. Je sais que je n'ai plus rien à craindre de ce côté-là car que je serve véritablement à quelque chose ou non, au fond de moi j'ai le sentiment de ne pas être là pour rien. En fait, je me rends compte avec le temps que j'ai tout pour être la plus heureuse du monde, pourtant les éclats de rire restent coincés dans ma gorge, elle se noue et combien de fois par jour les larmes manquent de me monter aux yeux ? Cela fait à peine deux semaines...

Je devais rejoindre mon petit-frère à la sortie d'une séance de cinéma, il devait dormir chez moi et le lendemain nous aurions dû passer la journée ensemble pour un salon du jeu vidéo. Ce n'est pas que ça me plaise tant, mais Joao a toujours été mon petit ange, celui pour qui j'aurais pu faire le tour de la terre sur les mains s'il me l'avait demandé, et qui pourtant était toujours si gentil. Il devait sortir à vingt-deux heures avec ses amis, ils ont trainé, il devait les attendre dehors car il avait envie de prendre l'air. Quand ils m'ont vue arriver en leur demandant où il était, ils m'ont répondu qu'ils pensaient qu'il était déjà parti avec moi. Pas un message, aucune réponse aux appels, pas même un papier tombé de sa poche. Rien. Absolument rien. Il a tout simplement disparu.
Je perds rarement mon sang froid, pourtant j'étais tellement en panique ce soir-là que l'agent qui a pris ma déposition a dû me demander de repasser le lendemain. A tête reposée. Comment voulez-vous vous reposer quand la prunelle de vos yeux se trouve quelque part dans la ville, peut-être ou non en bonne santé, peut-être ou non en vie ? Je n'ai pas dormi pendant trois nuits. La quatrième je me suis effondrée malgré moi. Et j'ai entendu les pires choses que je pouvais entendre.
Ma mère a entièrement rejeté la faute sur mes épaules. Selon elle, j'aurais dû arriver quelques minutes plus tôt au lieu de trainer... Selon moi aussi. La culpabilité est l'un des pires sentiments que l'on puisse ressentir. Du moins je le suppose. La police pense que ce n'est pas de ma faute, que ça serait peut-être arrivé, que je sois là ou non. La seule chose qu'ils ne m'ont pas dite mais que je soupçonne fortement, c'est que passées les premières vingt-quatre heures, il sera quasi impossible de le retrouver. Je donnerai tout, absolument tout, pour le faire revenir. Et malgré mes peurs, je sais que je serai prête à tout. Absolument tout.